Primo Levi : Si c'est un homme
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Auschwitz III Monowitz Auschwitz - Birkenau - Monowitz Fossoli Les tatouages La sélection Sonderkommando
De la pièce Expositions
Extraits de films Extraits de textes

Primo Levi : Biographique commentée

Primo Levi (31 juillet 1919 - 11 avril 1987) est un des rescapés et témoins de la Shoah les plus reconnus. Juif italien de naissance et chimiste de profession, il témoigne de sa détention, du 26 février 1944 au 27 janvier 1945, dans le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz, la plupart du temps à Auschwitz III-Buna Monowitz. Son livre le plus célèbre, Si c’est un homme (Se Questo è un Uomo), édité une première fois en 1947, puis en 1958, est considéré comme l’une des œuvres les plus importantes du XXe siècle. Primo Levi écrit également de nombreux livres appartenant à la plupart des genres littéraires, de la poésie au roman, des nouvelles aux essais. En 1966, il adapte Si c’est un homme au théâtre, avec un acteur du nom de Pieralberto Marché.

Les années de jeunesse et de formation

Primo Levi est né à Turin le 31 juillet 1919 dans une famille juive de la moyenne bourgeoisie. De ses origines juives sépharades, il retient surtout les figures de ses ancêtres dont les attitudes et paroles sont devenues proverbiales, et leur dialecte judéo-piémontais. Mais il n’est ni pratiquant, ni croyant.

Son père Cesare, ingénieur, est un homme très ouvert qui encourage son fils à la lecture et à l’approche des sciences. Sa mère, Ester « Rina » Luzzati a fait ses études à l’Istituto Maria Letizia, est elle aussi une grande lectrice et parle couramment le français.

Sa sœur, Anna Maria, naît en 1921. Ils furent proches toute leur vie.

En 1925, il entre à l’école primaire à Turin. Mussolini est déjà au pouvoir depuis trois ans et l’État fasciste contrôle l’enseignement. De constitution délicate, Primo Levi est souvent absent de l’école, mais il est un excellent élève.

En 1930, il entre au collège Massimo d’Azeglio avec un an d’avance sur l’âge requis. Étant le plus jeune, le plus petit et le plus intelligent de sa classe, en plus d’être le seul Juif, il est fréquemment brimé par ses camarades. Il fait sa Bar Mitzva en août 1932.

En juillet 1934, à l’âge de 14 ans, il présente l’examen d’admission au Lycée classique Massimo d’Azeglio et y est reçu en candidat libre. Ce lycée fut connu pour avoir des professeurs antifascistes affirmés (Norberto Bobbio, Franco Antonicelli, Cesare Pavese). C’est en lisant Concerning the Nature of Things de William Henry Bragg qu’il se découvre une vocation de chimiste. C’est la voie qu’il veut suivre pour découvrir les secrets de la matière et du monde. Il est diplômé de l’école en 1937.

En 1937, il s’inscrit à l’Université de Turin, pour étudier la chimie. Il est admis en février après avoir suivi le cursus de chimie à plein temps. Les lois antisémites sont promulguées peu de temps après, le 6 octobre 1938. Ayant déjà commencé ses études, il est autorisé à les poursuivre.

En décembre 1941 son ancien appariteur, Caselli, lui obtient un poste dans une mine d’amiante de San Vittore. Le projet dont il a la charge est d’analyser la teneur en nickel des résidus de la mine et d’en optimiser l’extraction. C’est au cours de son séjour à la mine qu’il rédige ses deux premières histoires brèves qui figureront des années plus tard dans le Système périodique.

En mars 1942, son père meurt.

En juin 1942, la situation ne pouvant évoluer davantage à Turin, Primo Levi quitte la mine et tente sa chance à Milan. Recruté par une firme suisse sur un projet d’extraction d’un composé antidiabétique d’extraits végétaux.

En septembre 1943, Mussolini est démis de ses fonctions. Son remplaçant, le maréchal Pietro Badoglio, signe l’armistice avec les Alliés. Benito Mussolini est rapidement libéré par les Allemands et installé à la tête de la République de Salò, un état fantoche qui applique la terreur policière sur les territoires dont elle garde le contrôle.

Les opposants au fascisme exhortent les Italiens à la révolte active. Primo Levi et quelques camarades prennent le chemin des Alpes et rejoignent en octobre le mouvement partisan Giustizia e Libertà (Justice et liberté), d’orientation libérale. Il est arrêté le 13 décembre 1943 dans le Val d’Aoste. Après une série d’interrogatoires, il reconnaît qu’il est juif. Après quoi, il est transféré dans le camp d’internement des Juifs de Fossoli, près de Modène, où il demeure deux mois, période après laquelle il est déporté en février 1944 à Auschwitz.

Auschwitz

Le 11 février 1944, les 650 Juifs italiens du camp de Fossoli sont déportés à Auschwitz dans douze wagons à bestiaux surchargés. 96 hommes et 29 femmes ont eu la vie sauve, les 525 autres, femmes, enfants, personnes âges dont certains avaient dépassé 80 ans sont gazés dans les vingt-quatre heures suivantes. Sur les 125 qui ont été sélectionnés pour le travail, une vingtaine reverra l’Italie.

Primo Levi est assigné au camp de Monowitz, un des camps auxiliaires d’Auschwitz dont la principale mission est de fournir la main-d'œuvre au chantier de construction d’une usine de caoutchouc appartenant à IG Farben, la Buna.

Levi attribue sa survie à un ensemble de circonstances, entre autres, d’avoir été déporté à une période où il avait été décidé de rallonger quelque peu la vie des prisonniers et d’arrêter les exécutions arbitraires. Sa formation professionnelle lui permet d’obtenir à partir de novembre 1944 un poste relativement privilégié d’assistant dans le laboratoire de l’usine de production de caoutchouc de la Buna. Au moment de l’évacuation du camp, atteint de scarlatine, il est abandonné à son sort dans l’infirmerie du camp au lieu de partir pour la marche de la mort, où meurent la plupart de ses compagnons. Il parvient à survivre grâce à deux camarades de chambrée. Le 27 janvier, l’Armée rouge entre à Auschwitz.

Il lui faut une dizaine de mois pour regagner Turin, le 19 octobre 1945, après traversé en train la Pologne, la Russie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne.

Retrouver la vie, après Auschwitz, en témoignant contre l’oubli

Revenu à Corso Re Umberto, où personne ne l’attendait, Levi est méconnaissable. Vêtu d’un vieil uniforme de l’Armée rouge, la malnutrition a bouffi son visage, mangé par une barbe hirsute. Les mois suivants lui permettent de se reconstituer physiquement, de prendre contact avec des survivants et de chercher du travail. En 1946, il rencontre Lucia Morpurgo qui deviendra son épouse.

Le 21 janvier 1946, il commence à travailler à la DUCO, une compagnie de peintures et vernis située en dehors de Turin. C’est à ce moment qu’il écrit Si c’est un homme, sans avoir vraiment l’intention d’en faire un livre. Le 22 décembre 1946, le manuscrit est complet. Il en retravaille la forme avec Lucia Morpugo qu’il épouse en septembre 1947. À ce moment, il propose le manuscrit à des éditeurs, notamment à la maison turinoise Einaudi. Il n’essuie que des refus. Un ami de sa sœur lui permet d’être édité chez De Silva que dirige Franco Antonicelli, fervent antifasciste. Le 11 octobre, Si c’est un homme est tiré à 2500 exemplaires. En juin 1947, Primo Levi démissionne de la DUCO.

En 1948, il est engagé par la SIVA (entreprise fabriquant notamment des vernis chimiques et des isolants). Il milite activement pour que les camps nazis et la Shoah ne tombe pas dans l’oubli. Il écrit notamment un texte important, dix ans après l’ouverture des camps où il s’inquiète du peu d’intérêt que suscitent les camps :

Aujourd’hui, il est indélicat de parler des Lager. L’on risque d’être accusé, dans la meilleure des hypothèses, de vouloir se poser en victime, ou de manifester un amour gratuit pour le macabre ; dans le pire descas, de proférer des mensonges purs et simples, voire de faire outrage à la pudeur. […]

Il n’est pas légitime d’oublier, il n’est pas légitime de se taire. Si nous nous taisons, qui parlera ? Certes pas les coupables et leurs complices. Si notre témoignage fait défaut, les exploits de la brutalité nazie pourront, en raison même de leur énormité, être relégués parmi les légendes dans un avenir relativement proche. Il est donc nécessaire de parler.

Si c’est un homme se vend et se lit peu. Primo Levi doit attendre 1958 pour qu’Einaudi édite son livre dans une version qu’il a en partie revue.

En 1961, il commence à écrire La Trève, l’histoire épique de son retour en Italie depuis Auschwitz, qui est publiée chez Einaudi en 1963, quinze ans après son premier livre. Le succès est immédiat, il reçoit la même année le prestigieux Prix Campiello. La réputation de Primo Levi va grandissant, il entretient une activité intellectuelle importante, notamment en écrivant régulièrement dans La Stampa, important journal turinois. Il rédige de nombreux livres, s’expérimentant à tous les genres littéraires et il adapte, avec Pieralberto Marché, Si c’est un homme au théâtre après qu’une version a été présentée à la radio au Canada, puis en Italie, à la RAI. En 1974, il prend une semi-retraite de la SIVA afin de se consacrer à l’écriture.

(1975-1987) Témoin, écrivain et intellectuel

En 1975, il fait paraître une série de ses poèmes sous le titre L’osteria di Brema. Il écrit également deux autres textes célébrés à l’unanimité, en 1975, Le Système périodique, construit en se référant au tableau périodique de Mendeleïev où chaque élément permet le récit d’un moment de sa vie et, en 1978, Lilith, où il revient sur des personnages et moments d’Auschwitz qu’il n’a pas évoqués dans ses livres précédents.

En 1978, il écrit le roman La chiave a stella (La Clé à molette). Le livre prend la forme d’un dialogue entre un technicien turinois en déplacement dans le monde entier pour l’installation de machineries industrielles dans le cadre des grands projets d’ingénierie. Ce livre élève le travail au rang de valeur nécessaire à l’épanouissement. Primo Levi fait face à des critiques d’ultra gauche, son approche du travail néglige selon ces derniers la question de l’aliénation. Le livre reçoit le prix Strega en 1979 et devient un succès.

En 1984, il publie un autre roman, Se non ora, quando? (Maintenant ou jamais) qui relate les tribulations d’un groupe de partisans juifs, derrière les lignes allemandes, luttant contre l’occupant et tâchant de survivre. Lorsque l’idée de gagner la Palestine et de participer à la construction du foyer national juif devient clairement leur objectif, l’équipée gagne la Pologne, puis l’Allemagne, avant que les survivants du groupe ne soient officiellement reçus dans un territoire aux mains des Alliés en tant que personnes déplacées. Ils parviennent à rejoindre l’Italie, pénultième étape sur le chemin de la Palestine. Le roman est récompensé par les prix Campiello et Viareggio.

Primo Levi est alors au faîte de sa célébrité en Italie. La Trève est incluse dans le programme scolaire italien. Si c’est un homme est également suivi d’un carnet résultant des discussions avec les étudiants. En revanche, l’Union Soviétique boude ses livres, où les soldats russes sont présentés trop humains par rapport au canon héroïque des Soviets. Pourtant, il exprime une sorte de fatigue du témoin :

Je ne vais plus volontiers dans les écoles. D’un côté, je l’avoue, je suis las de m’entendre toujours poser les mêmes questions. D’un autre côté, j’ai l’impression que mon langage est devenu insuffisant, que je parle une langue différente. Et puis, je dois avouer que j’ai été touché au vif par une des dernières expériences que j’ai faites dans une école, où deux enfants, deux frères, m’ont lancé d’un ton sans réplique : « Pourquoi venez-vous encore nous raconter votre histoire, quarante ans après, après le Viêt-nam, après les camps de Staline, la Corée, après tout cela… pourquoi ? » Et je dois dire que je suis resté bouche bée, sans voix, poussé dans mes retranchements, dans ma condition de rescapé à tout prix.

En 1986, il publie I sommersi e i salvati (Les naufragés et les rescapés). Écrit « quarante ans après Auschwitz », cet essai (genre très rare chez les témoins) revient sur son expérience concentrationnaire pour s’interroger notamment sur la fidélité de la mémoire, sur ce qu’il nomme la « zone grise », sur la honte, sur la place de l’intellectuel à Auschwitz.

Primo Levi meurt le 11 avril 1987 après s’être jeté du haut de l’escalier intérieur de son immeuble.