Démarches pédagogiques DOSSIER 2 : La démolition d’un homme, Primo Levi
Objectif
La lecture de la pièce constitue un double enjeu pédagogique. Sa longueur la rend complexe pour un élève mais son contenu comme sa mise en scène, les dialogues, l’absence de repères visuels (seules les didascalies donnent des indications) en font un objet d’étude historique complexe. Le passage du récit ou témoignage à la fiction théâtrale rend ce texte difficile pour les classes. L’objectif de cette fiche est de fournir des pistes de lecture et de compréhension de cette œuvre en proposant aux enseignants et aux élèves (niveau Lycée, 1ère/Tale) une série de 5 thèmes mis en relation avec des passages de la pièce. Un questionnement est proposé aux élèves ainsi que des pistes de réponses aux enseignants.
Thème 1 : La rupture avec le monde d’hier et l’inversion des valeurs
L’entrée dans un monde nouveau caractérise l’expérience concentrationnaire. La destruction des repères sociaux s’ajoute à la destruction de l’identité personnelle. La version dramatique permet de saisir cette dimension lors de plusieurs passages. La destruction des repères sociaux :
- le voyage
- la langue est inconnue (dialogue incompréhensibles et volontairement non traduits)
- une réflexion sur le bruit (étude des didascalies)
La destruction de l’identité personnelle :
- avant la déportation : perte de la citoyenneté / interdiction d’exercer des métiers / spoliation des biens / exclusion sociale...
- dans le camp : possessions arrachées / destruction des liens familiaux / déshumanisation : corps rasés, tatouage. une dépossession identitaire qui dégrade l’humanité et l’individu relégué au rang de numéro, de chose / la fin des repères sociaux : âge, exposition des plus faibles, hiérarchie nouvelle entre les détenus (SS, kapo, détenus politiques...).
- hasard et arbitraire de la mort, des destins individuels, des sanctions.
Un monde indéchiffrable dont les règles ne sont pas écrites et ou les notions de bien et de mal sont des relatifs dans un espace imprévisible. Les significations parlantes du monde ancien ont totalement disparu.
Parties de la pièce permettant d’aborder ces thèmes :
le voyage et la sélection (extrait 1), le tatouage (extrait 3), le travail (extrait 5), le médecin (l’extermination par le travail et les maladies, extrait 6), l’examen de chimie (extrait 8, elle éclaire la déclassification de l’homme avant la déportation), les écriteaux (extrait 12)
Questions/démarches pédagogiques :
Scènes retenues : le voyage et la descente du train, le tatouage (extrait 3)
Documents : plan d’Auschwitz
- Présenter la scène : lieu, personnages, ambiance sonore...
- Quelles sont les étapes de l’arrivée dans le camp ?
- Quels indices nous montrent que les déportés sont dans un univers qu’ils ne comprennent pas.
- Mettre en regard la scène avec le témoignage tiré de Si c’est un homme, quelle différences, quels points communs ?
- Comment Primo Levi analyse dans son témoignage la réalité nouvelle du camp ? Quels moyens utilise-t-il dans la pièce pour faire ressentir cette réalité ?
Justifiez l’affirmation suivante : Le camp constitue un monde à part dont l’objectif est la destruction des repères sociaux et de l’identité personnelle des déportés.
Thème 2 : la destruction du champ perceptif
Dans le camp, la notion du pourquoi disparaît. Avec elle, le sens, la perception des événements se brouillent. On distingue trois ruptures fondamentales qu’éclairent avec force le texte :
- l’absence des données temporelles dans la pièce : partir signifie mourir, demain signifie mourir. Le temps apparaît suspendu à un réel structure : la nuit et le jour sont des éléments qui seuls montrent le temps qui passe.
- l’absence du pourquoi détruit la capacité à donner du sens aux événements. Les besoins les plus simples (boire) ne sont pas permis. L’absurde remplace les logiques biologiques comme les logiques sociales.
- le réel et fiction ou rêve. Lesquels représentent la vie. Or elle n’existe plus que dans les rêves.
Parties de la pièce permettant d’aborder ces thèmes :
Impossibilité d’avenir : partir = mourir (extrait 1), les Juifs de Zagreb (extrait 1)
Impossibilité de « pourquoi » (extrait 4 la scène de la soif. Comparez avec la version non théâtrale de Si c’est un homme, chapitre 2 : la scène du « Hier ist kein Warum » [ici il n’y a pas de pourquoi]).
Questions/démarches pédagogiques :
A l’aide des scènes retenues :
- montrez que les déportés perdent les repères du temps : quelle est leur conception de l’avenir ?
- montrez que le monde concentrationnaire obéit à des règles absurdes et dégradantes.
- montrez la fonction du rêve pour les déportés : constitue-t-il une échappatoire ou une aliénation ?
Justifiez l’affirmation suivante : L’univers du camp est monde aux règles inversées dans lequel le détenu ne peut s’échapper.
Thème 3 : la destruction par l’épuisement et le travail
La volonté de destruction s’accompagne de l’abaissement de l’homme au rang d’animal et de corps souffrant. L’absurdité du travail qui est dénué de finalité collective perceptible pour le détenu s’accompagne de la fatigue physique et de l’épuisement.
- l’épuisement par la faim
- l’épuisement par le travail
- l’épuisement par la violence physique
- l’épuisement par la violence morale
Parties de la pièce permettant d’aborder ces thèmes :
L’épuisement par le voyage (extrait 1), le tatouage (extrait 3), les poutres (extrait 5), les repas, la violence (extrait 6), la sélection (extrait 14), la chambre à gaz et l’arrivée des Juifs de Hongrie (extrait 14), la maladie et la fin du camp (extrait 17)
Questions/démarches pédagogiques :
- Quel sont les procédés mis en place par les nazis dans les camps pour aboutir à la destruction morale et physique des déportés ?
- Quelles sont les conséquences morales de l’expérience concentrationnaire ? (scène finale)
Rédigez une réponse argumentée : La destruction des Juifs d’Europe dans les camps d’extermination
Thème 4 : une domination par la torture et la perversion
Le concept de domination totale d’Hannah Arendt s’applique à l'expérience du camp. Le texte illustre la peur constante qui permet la docilité. Les rites institués (sélection, repas, l’appel) et la violence sont incarnés par un pouvoir lointain invisible réduit ici au champ de la voix des SS. Les victimes deviennent les bras dociles des bourreaux.
- un pouvoir despotique sans règle
- un pouvoir fixant des normes inatteignables
- associer les victimes aux crimes (Sonderkommando)
Parties de la pièce permettant d’aborder ces thèmes :
Destruction de l’homme (extraits 13, le chœur), les jeunes Allemandes (extrait 15)
Sonderkommando (extrait 15)
Questions/démarches pédagogiques :
- Dresser la liste des «acteurs» présents dans le camp ?
- Comment les bourreaux sont-ils représentés dans le texte ? Pourquoi ?
- Quelles sont les règles, ou les rites qui organisent l’emploi du temps dans le camp ?
- Qu’est ce que le Sonderkommando ?
Thème 5 : une destruction de la morale
La survie ne peut s’obtenir que par un refus de la morale. Elle se conserve au détriment des autres plus faibles. Elle favorise la peur, la suspicion des hommes entre eux et valorise des hiérarchies nouvelles dans lesquelles le pire devient le meilleur (kapos, détenus de droits communs). Le vol, la tromperie entraînent une méfiance au détriment des solidarités réelles mais moins visibles.
- se maintenir en vie, une obsession
- la survie autorise ou commande le vol, la duperie
- les valeurs de l’homme (propreté, travail...) sont associées à la notion de trahison, de soupçon. La déchéance devient vertu, signe de solidarité dans la souffrance.
- Survivre, un espoir interdit qui devient un fardeau. Assumer d’avoir survécu au détriment des autres.
Parties de la pièce permettant d’aborder ces thèmes :
Vol, vente (extrait 13)
Une inversion des valeurs : Henri l’opportuniste (extrait 13)
Survivre, un espoir interdit ou difficile à assumer (extrait 14)
Questions/démarches pédagogiques :
- Quels sont les rapports entre les déportés ?
- Quels sont les signes de solidarités entre les détenues du camp ?
- Montrez que les valeurs de la morale sont ici inversées ?
- Quelle perception les détenus ont-ils de la vie hors du camp ? Pourquoi la survie est-elle perçu à la fois comme un espoir et comme un poids ?