Primo Levi : Si c'est un homme
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Dossiers pédagogiques Exemple de mise en œuvre pédagogique
G. de Bosio P. Marché M. Revault d’Allonnes R. Waintrater P. Chaussat C. Biet H. Waysbord
Auschwitz III Monowitz Auschwitz - Birkenau - Monowitz Fossoli Les tatouages La sélection Sonderkommando
De la pièce Expositions
Extraits de films Extraits de textes

Texte : Extrait 3 (les conditions de la survie)

Bruit de porte ouverte, avec sifflement de vent ; la porte est tout de suite refermée. Petit murmure de malaise des déportés qui commentent ce qu’à dit le docteur. Un peu de piétinements. Quelqu’un se laisse tomber à terre, d’autres se plongent dans leurs pensées, l’un s’assied, la tête dans les mains. Bruit de porte ouverte. Silence et immobilité générale. Sifflement du vent. Porte refermée. Pas cloutés d’un S.S qui s’approche.


4ème VOIX D’ALLEMAND (dans haut-parleur) – Ubersetze, Her Rabbiner : Ihr seid jetzt in Auschwitz.

FLESH – Il dit que nous sommes à présent à Auschwitz.

4ème VOIX D’ALLEMAND – Das Motto in Auschwitz ist : « arbeit macht frei ».

FLESH – Il dit que la consigne d’Auschwitz est « Arbeit macht frei », le travail donne la liberté.

4ème VOIX D’ALLEMAND – Ihr sollt in fünf Gliedern mit zwei Metern Abstand von Mann zu Mann antreten.

FLESH – Il dit qu’il faut se mettre en rang par cinq à distance de deux mètres entre chaque homme.

4ème VOIX D’ALLEMAND – Danach zieht sich jeder nackt aus. Wollene Sachen auf die rechte seite. Das andere Zeug auf die Linke.

FLESH – Il dit que nous devons nous déshabiller complètement : les vêtements de laine à droite, tout le reste à gauche.

4ème VOIX D’ALLEMAND – Und selbstverständlich die Schuhe ausziehen…

FLESH – Enlever nos chaussures…

4ème VOIX D’ALLEMAND – Aber passt gut auf, dass sie nicht gestohlen werden.

FLESH (traduisant, très étonné) – mais nous devons faire très attention à ce qu’on ne nous vole pas les chaussures.


TOUS (d’une voix soumise, avec la même stupeur) – Qu’on ne nous vole pas ? La 4ème voix d’Allemand émet un petit rire moqueur. Les pas cloutés s’éloignent. Bruit de porte ouverte et refermée. Les déportés, en silence, se disposent à exécuter ce qui leur a été ordonné. La lumière baisse jusqu’à créer une pénombre. Dans cette semi-obscurité, obscurité, entrent quatre Kapos hurlant et insultant les prisonniers en allemand et en polonais. Les prisonniers, perdus, créent à leur tour un grand désordre. Tandis que les Kapos commencent à leur arracher violemment leurs vêtements, sous lesquels apparaissent les tenues de Häftling. Les quatre Kapo, toujours avec la même violence, poussent les prisonniers d’un côté de la scène, leur imposant de se mettre en file indienne. Jusqu’à ce moment, tout doit se passer dans une atmosphère de chaos et d’excitation générale, le plus rapidement possible. Quand tous sont en file indienne, la lumière redevient normale. Dans le silence le plus absolu, les prisonniers défilent un par un devant un fonctionnaire, qui leur prend le bras gauche et exécute à chacun le tatouage. Aldo est au centre de la file, et un peu au-delà, Alberto. A mesure qu’ils sont tatoués, les prisonniers se dispersent sur la scène, chacun de son côté, essayant de s’éviter, n’ayant pas le courage de regarder. Aldo et Alberto, dans la même attitude que les autres. Tandis que le tatouage continue, la lumière disparaît en scène, et s’allume en même temps sur le chœur.


CHŒUR :

1er HOMME ... Nous porterons tant que nous vivrons la marque...

2ème HOMME ... le numéro tatoué sur le bras gauche...

3ème HOMME ... Alors, pour la première fois…

4ème HOMME ... Nous nous sommes aperçus que notre langue manque de paroles pour exprimer cette offense...

1er HOMME ...La destruction d’un homme...

5ème HOMME ...Nous ne sommes plus des hommes, mais des prisonniers...

6ème HOMME ...« Häftlinge »...

1er HOMME …Il n’est pas de condition humaine plus misérable...

2ème HOMME …Elle n’est pas pensable...

3ème HOMME ...Nous avons touché le fond...

4ème HOMME ...Rien n’est plus nôtre...

5ème HOMME ...Ils nous ont enlevé nos vêtements...

6ème HOMME ...Nos chaussures...

1er HOMME ...Nos cheveux...

2ème HOMME ...Les petites choses que même un mendiant possède...

3ème HOMME ...Un mouchoir...

4ème HOMME ...Une vieille lettre...

5ème HOMME ...La photo d’un être cher...

6ème HOMME ...Des choses qui font partis de nous...

1er HOMME ...Comme nos membres.

2ème HOMME ...Ils nous ont enlevé jusqu’à notre nom...

3ème HOMME ...Si nous voulons le conserver...

4ème HOMME ...Nous devrons en trouver la force en nous ...

5ème HOMME ...Pour que quelque chose de nous...

6ème HOMME ...De nous tel que nous étions...

5ème HOMME ...Demeure.


La lumière s’éteint sur le chœur : le haut-parleur diffuse une musique d’orchestre, Rosamonde. La lumière éclaire lentement la scène où les prisonniers qui viennent d’arriver sont déjà encadrés, en colonnes. D’autres arrivent, également encadrés, d’un pas étrange, dépourvu de naturel comme des fantoches rigides, tout en os ; ils suivent rigoureusement le rythme de la fanfare. QQuelle était la fonction de l’orchestre ? Pensez-vous que cela pouvait rassurer les déportés ?


1ère VOIX D’ALLEMAND (dans haut-parleur) – Links, zwo, drei, vier, Links ! Abteilung... Hault !

2ème VOIX D’ALLEMAND (dans haut-parleur) – Alle Kommandos... Halt ! (La musique s’arrête. Voix d’Allemands qui comptent rapidement : « Eins, zwie, etc ; d’autres voix : « Stillstand ! », « Block Dreissig 210 Häftlinge, Stärke stimmt », « Aufgehen, aufbleiben ! » etc. Les prisonniers ont été disposés en colonnes et comptés. A la fin de l’opération, dans le haut- parleur) Appel Beendet ! Absperre !


Différentes voix répètent, de près et de loin : « Absperre ». Les prisonniers rompent les rangs, mais maintenant, ils ne marchent plus rigides et gourmés comme avant ; ils se traînent, font un effort évident. Quelques réflecteurs illuminent violemment la scène. Murmures confus des prisonniers. Aldo et Alberto vont et viennent, perdus, à la recherche de quelques informations. Ils s’approchent de deux déportés qui discutent : quand Alberto s’apprête à leur adresser la parole, ils lui tournent le dos et s’éloignent.


ALBERTO – Il y en a bien un qui pourra nous dire où trouver de l’eau.

ALDO – Bah!


Ils s’approchent d’un déporté assis à terre, qui est occupé à se masser la cheville. Le déporté polonais continue, absorbé, sans faire attention à eux.


ALBERTO – Nous soif... très soif...


Le déporté polonais lève un regard indifférent sur eux interrompant son massage.


ALDO (insistant, et s’agenouillant pour lui parler de plus près) – Où est l’eau... Wasser... Water... Acqua ?

DEPORTE POLONAIS (recommençant à se masser) – Nie zrozumialem, i Kpie sobie z tego.


Aldo se lève et se dirige d’un autre côté, suivi d’Alberto.


ALBERTO – Qu’est ce qu’il a dit ?

ALDO – Je ne sais pas. Il n’a pas envie de répondre.