Primo Levi : Si c'est un homme
Présentation générale Adaptation théâtrale Vision universaliste
Biographie commentée Chronologie biographique Bibliographie
Texte intégral Extrait 1 Extrait 2 Extrait 3 Extrait 4 Extrait 5 Extrait 6 Extrait 7 Extrait 8 Extrait 9 Extrait 10 Extrait 11 Extrait 12 Extrait 13 Extrait 14 Extrait 15 Extrait 16 Extrait 17
Dossiers pédagogiques Exemple de mise en œuvre pédagogique
G. de Bosio P. Marché M. Revault d’Allonnes R. Waintrater P. Chaussat C. Biet H. Waysbord
Auschwitz III Monowitz Auschwitz - Birkenau - Monowitz Fossoli Les tatouages La sélection Sonderkommando
De la pièce Expositions
Extraits de films Extraits de textes

Fiche historique : Sonderkommando

Le terme de Sonderkommando a été utilisé dans la Wehrmacht ou dans la Luftwaffe pour désigner des Kommandos militaires chargés de missions particulières ainsi que dans la SS pour désigner les équipes chargées de diriger les centres d’extermination de Chełmno, Treblinka, Sobibór et Bełżec (SS-Sonderkommando). Dans ces derniers centres d’extermination, les Juifs chargés de trier les vêtements des victimes et surtout de sortir les corps des camions à gaz ou des chambres à gaz et de les transporter vers les fosses communes ou les installations de crémation étaient appelés Arbeitsjuden, Juifs du travail. À Auschwitz (et à Maidanek) on appelait Sonderkommando les groupes de Juifs spécialisés contraints de travailler dans les crématoires. Ils recevaient les déportés dans les baraques ou les salles de déshabillage et devaient aider les personnes âgées ou les enfants à se déshabiller. Après la mort des victimes dans les chambres à gaz, les « coiffeurs » coupaient les cheveux, les « dentistes » extrayaient les dents en or que les « orfèvres » fondaient en lingots. D’autres équipes devaient transporter les cadavres des Bunkers I et II[1] dans des fosses communes à l’aide de wagonnets ou en les tirant par des lanières. Mais, après une directive de Himmler donnée lors de sa visite à Auschwitz des 17 et 18 juillet 1942, le Sonderkommando reçut l’ordre de déterrer les corps et de les brûler sur des bûchers, selon les méthodes des SS de Chełmno, dans le voisinage des Bunkers ou devant la façade nord du Crématoire V pendant l’été 1944. Dans les Crématoires II et III, à partir du printemps 1943, les hommes du Sonderkommando devaient placer les corps sur des monte-charge allant de la chambre à gaz du sous-sol à la salle des fours du rez-de-chaussée. Les hommes qui avaient reçu une formation spéciale s’occupaient aussi du fonctionnement et de l’entretien des fours. Mais la qualité moyenne des matériaux de temps de guerre et la surexploitation des fours, dont les SS sont responsables, ainsi peut-être que des maladresses volontaires ou involontaires du Sonderkommando sont à l’origine du grand nombre de dysfonctionnements qui ont ralenti ou arrêté la marche des crématoires[2].

Un autre groupe était chargé de récupérer les effets des victimes dans la salle de déshabillage pour les transmettre au Kommando du Kanada. Après le gazage, des hommes devaient nettoyer les chambres à gaz, laver et brosser les murs et le sol, voire refaire l’enduit des murs.

La création du Sonderkommando d’Auschwitz correspondait à la volonté des Allemands de créer pour l’extermination des Juifs un système qui imposait à certains détenus juifs une fonction (Funktionshäftlinge) dans le processus d’extermination des Juifs. La création du Sonderkommando d’Auschwitz était ainsi liée à la création même des structures d’extermination. Les équipes qui travaillaient au Block 11 du Stammlager (Auschwitz I, le camp principal) à transporter vers les fours du Crématoire I les corps des victimes des fusillades perpétrées dans la cour située entre les Block 11 et 10, ont été fusionnées avec les équipes qui travaillaient dans le Crématoire (Krematoriumkommando) dès la fin de l’été 1940. Lors des gazages dans la morgue du Crématoire I, à la fin de 1941 ou au début de 1942, le Sonderkommando qui comportait alors des Juifs, mais aussi, contrairement à la période suivante, des détenus politiques polonais et des prisonniers de guerre soviétiques, a brûlé les corps des victimes : prisonniers épuisés, dont des soldats soviétiques, et Juifs des ghettos de Haute-Silésie. Le Sonderkommando a été transféré à Birkenau à partir du printemps de 1942 pour le travail aux Bunkers I et II. À partir de mars 1943, il a travaillé dans les grands crématoires de Birkenau et, à partir du printemps 1944, de nouveau au Bunker II.

Le nombre des détenus du Sonderkommando d’Auschwitz a varié suivant les périodes de l’activité meurtrière du camp. En juillet 1942, 300 à 400 hommes travaillaient aux Bunkers I et II à transporter et à enfouir les corps des victimes. Il a culminé à plus de 900 hommes au cours de l’été 1944 au moment du massacre des Juifs de Hongrie.

Dans la période du Crématoire I et des Bunkers (1942 et premiers mois de 1943) il est arrivé que tous les hommes du Sonderkommando soient éliminés par des piqures de phénol dans le cœur pour être remplacés par de nouveaux venus. En décembre 1942, 400 membres du Sonderkommando qui avaient retiré les corps de la première fosse de Birkenau auraient été gazés dans la morgue du Crématoire I. Dans la période suivante des grands crématoires, le besoin d’hommes formés aux tâches qui étaient exigées du Sonderkommando a limité les sélections régulières pour la mort. En février 1944 après une tentative d’évasion de 5 hommes du Sonderkommando, 200 de ses membres furent envoyés à Maidanek et en septembre 1944, également 200 membres du Sonderkommando auraient été gazés (voir ci-après le paragraphe sur la révolte).

Les hommes du Sonderkommando furent d’abord logés à Birkenau dans une baraque isolée du secteur BIb, puis à partir de juillet 1943, quand ce secteur est devenu le Camp des femmes, dans la baraque 13 du Camp des hommes (secteur BIId, à côté de la baraque de la Strafkompanie, Compagnie disciplinaire), séparée du reste du camp par des murs et des barbelés (dont il reste encore des traces). En juin 1944, alors que les SS craignaient une révolte, les hommes du Sonderkommando furent logés dans les combles des Crématoires II et III.

Si les membres du Sonderkommando ne pouvaient pas s’approprier les objets de valeur, ils étaient autorisés à profiter de la nourriture qui pouvait se trouver dans les effets des victimes, laissés dans les salles de déshabillage. Dans les crématoires, ils avaient de véritables lits. Ils pouvaient même se laver tous les jours. Ils pouvaient aussi jouer au football sur le terrain de sport se trouvant au sud de l’hôpital des hommes dans le secteur BIIf, à l’est du Crématoire III[3].

Il n’est pas possible de juger les hommes du Sonderkommando tant leur expérience est inouïe. Primo Levi met dans la bouche de Goldener, un personnage de la pièce Est-il un homme tirée de son livre Si c’est un homme, des informations sur le Sonderkommando qui étaient sans doute celles que pouvait avoir un détenu de Monowitz :

« Aldo - Qu’est-ce que le Sonderkommando ?

Goldner - C’est l’équipe des désespérés : mille hommes, ceux qui font fonctionner la chambre à gaz et les fours. Ils mangent bien, ils ont de l’argent, de l’alcool, du tabac, mais tous les trois mois, ils y passent eux-aussi, dans la chambre à gaz, et ils le savent. Ils sont robustes et bien nourris. On comprend qu’ils aient eu la force de se rebeller »[4].

On sait maintenant que les hommes du Sonderkommando, s’ils font fonctionner les fours, ne font nullement fonctionner les chambres à gaz. C’était en particulier toujours un SS du service médical du camp qui introduisait le Zyklon B dans les chambres à gaz, même si, selon le témoignage de Shlomo Venezia, ce sont des hommes du Sonderkommando qui soulevaient le « très lourd » couvercle des colonnes de déversement du Zyklon dans les chambres à gaz des Crématoires II et III[5]. Dans son témoignage qu’il a caché à Birkenau, Załmen Gradowski évoque, lui aussi de « lourds couvercles »[6]. Henryk Tauber, dans son témoignage après la guerre parle aussi de couvercles de ciment qui avaient deux poignées.

A propos des hommes du Sonderkommando, Primo Levi écrit : « Chaque individu est un sujet tellement complexe qu’il est vain de prétendre en prévoir le comportement, davantage encore dans des situations d’exception, et il n’est même pas possible de prévoir son propre comportement. C’est pourquoi je demande que l’histoire des " corbeaux du crématoire " soit méditée avec pitié et rigueur, mais que le jugement sur eux reste suspendu »[7].

Encore aujourd’hui, on peut lire des interprétations qui impliquent un jugement sévère sur les hommes du Sonderkommando[8]. Certes nous pouvons bien nous douter que sur plus de deux milliers d’hommes qui furent engagés dans le Sonderkommando, au fil des années, certains ont pu correspondre au récit de Maurice Benroubi qui a travaillé à creuser les fosses à Birkenau et qui décrit les sévices qu’il a subis de la part de certains membres du Sonderkommando « se faisant les complices des SS pour leur plaire ». Mais nous nous souvenons aussi de Filip Müller dans le film de Claude Lanzmann Shoah, de son visage, de ses larmes, de ses paroles incarnant au plus près de la catastrophe la souffrance des victime des chambres à gaz construites par les SS d’Auschwitz[9].

Comme les Arbeitsjuden à Treblinka ou à Sobibór, les hommes du Sonderkommando étaient les seuls Juifs qui pouvaient avoir les moyens physiques d’une résistance à Auschwitz. Ils ont accompli au moins trois actes exceptionnels de résistance.

1. Les textes enterrés dans le camp et retrouvés après la guerre.

De février 1945 à octobre 1980 des manuscrits en français, yiddish et grec ont été retrouvés dans le sol du secteur des Crématoire II et III à Birkenau[10]. Les découvreurs n’étaient pas toujours intéressés par l’intérêt historique de ces documents et, par exemple, le manuscrit de Leib Langfus trouvé dans un récipient de verre en avril 1945 ne fut remis aux historiens du musée d’Auschwitz qu’en 1970. De plus le malencontreux monument commémoratif de Birkenau inauguré en 1964 recouvre inconsidérément une grande partie des cours des Crématoires II et III et interdit toutes nouvelles recherches. Les textes des hommes du Sonderkommando ont été édités en français[11].

2. Les photographies

Au cours de l'été 1944, un membre inconnu du Sonderkommando (peut-être un Juif grec appelé Alex) a réussi à prendre deux photos de corps avant qu’ils ne soient brûlés sur les bûchers du Crématoire V et une photographie de femmes avant leur assassinat. Ce fut un acte extrêmement périlleux dont le devoir d’histoire de la résistance juive exige qu’il soit soigneusement répertorié. C’est un Juif polonais, David Szmulewski, membre de la résistance du camp qui, comme il l’a raconté lui-même, travaillait à des réparations sur le toit du Crématoire V. Il avait caché l’appareil de photo dans un seau à double fond et a pu faire passer cet appareil à l’homme qui a pris les photos. Les premières photos ont été prises à l’intérieur du bâtiment, par l’ouverture de la seule porte existant à cet endroit, celle d’un lieu désigné[12] comme étant une des chambres à gaz de la partie nord-est du Crématoire V. La photo aérienne de la R.A.F. du 23 août 1944 permet d’identifier très exactement l’emplacement des bûchers. Le témoignage du membre du Sonderkommando Szlama Dragon au cours du procès Hoess, les plans de la Bauleitung[13] ainsi que les ruines aujourd’hui montrent clairement la disposition du bâtiment. Après avoir pris les deux photographies des corps des victimes depuis la façade nord, le photographe a sans doute traversé le bâtiment par l’intérieur pour se placer vers la porte principale du Crématoire, celle du vestibule, sur la façade sud, par lequel entraient les victimes[14]. Il a alors photographié dans la direction du sud-est, des femmes se trouvant entre les Crématoires IV et V comme l’indiquent les arbres du Bois de bouleau et une cheminée vraisemblablement du Crématoire IV visible dans le champ. Les femmes peuvent venir de la baraque de déshabillage dont ont voit aujourd’hui les marques reproduites au sol à l’est des crématoires et marcher vers cette porte du corridor d’entrée se trouvant sur la façade sud du Crématoire V, et donnant, à l’intérieur à gauche, sur les chambres à gaz.

Cette dernière photo a été montrée après la guerre dans une version falsifiée selon les méthodes staliniennes qui donnaient un visage et un corps jeunes aux femmes du premier plan. L’acte du photographe était privé de son sens. Il avait photographié des femmes juives âgées dont la mise à mort ne pouvait pas avoir d’explication rationnelle. Le trucage pouvait faire croire qu’il s’agissait de jeunes Polonaises résistantes dont l’assassinat par les SS pouvait avoir un sens.

Ces trois photos ont longtemps été présentées officiellement par la Commission centrale d’enquête sur les crimes hitlériens en Pologne et par le musée lui-même comme ayant été prises par le seul survivant David Szmulewski[15].

3. Les révoltes

Il y avait à Auschwitz plusieurs groupes de résistances. Mais la résistance politique n’avait pas les mêmes buts que la résistance juive. Les politiques pouvaient se permettre d’attendre l’Armée rouge et espérer survivre d’ici-là. Ce n’était pas le cas des Juifs.

La préparation d’une révolte du Sonderkommando dura plusieurs mois sous la direction de Załmen Gradowski. Une première tentative vit le jour après que Filip Müller a découvert dans un ordre donné au SS Voss, le chef des crématoires, le projet de la liquidation du camp des familles juives de Theresienstadt. Mais le Sonderkommando ne parvint pas à entrainer le camp des familles dans une révolte, les responsables craignant pour la vie des enfants[16]. Un autre plan de révolte prévu pour juin 1944 fut entravé par la méfiance des SS qui décidèrent d’isoler le Sonderkommando dans les combles des Crématoires II et III et dans le vestiaire du Crématoire IV ainsi que par l’exécution du kapo juif polonais Kaminski, qui jouait un rôle unificateur dans l’équipe du Crématoire II.

Pourtant les hommes du Sonderkommando, bien qu’isolés des autres prisonniers, réussirent à contacter des détenus du camp des hommes de Birkenau qui travaillaient à l’usine de l’Union-Werke, entre le Stammlager et Birkenau, au sud de la voie ferrée. Ces derniers entrèrent, à leur tour, en contact avec quatre femmes (du moins les quatre qui furent arrêtées et qui n’ont dénoncé aucune autre femme) qui travaillaient dans l’atelier de munitions et de poudre de cette même usine. Les femmes, dont une jeune polonaise de Cracovie, Roza Robota, réussirent à faire parvenir des explosifs aux insurgés du Sonderkommando dans des conditions mal élucidées.

Il était prévu de faire sauter les crématoires, d’incendier les bâtiments et de tenter une évasion massive. En septembre, 200 membres du Sonderkommando, sous le prétexte de les transférer dans le camp annexe de Gleiwitz, furent sans doute gazés dans des salles d’épouillage de vêtements (Entwesungskammer) au Zyklon B du Kanada I (entre le Stammlager et l’ancienne Judenrampe). Quand des informations filtrèrent sur un nouveau « transport » de 300 hommes de l’équipe des Crématoires IV et V, le Sonderkommando, qui comptait alors un peu plus de 660 hommes, décida d’agir.

L’incendie du Crématoire IV devait donner le signal du soulèvement. Le samedi 7 octobre 1944, à midi, les hommes du Sonderkommando du Crématoire IV attaquèrent les SS et parvinrent à mettre le feu au Crématoire. Il y eut un début de révolte au Crématoire II, vite écrasée grâce à la supériorité en armement et à la rapidité de la réaction des SS. De même, les SS réussirent à empêcher toute action aux Crématoires III et V.

Des hommes du Crématoire IV étaient cependant parvenus à franchir les clôtures du camp. Certains réussirent même à aller jusqu’à Raïsko, au sud d’Auschwitz, et à se cacher dans une grange bientôt prise d’assaut pas les SS. Les SS entreprirent une chasse à l’homme pendant toute la journée du 7 octobre. Elle fut un peu ralentie par l’inquiétude des Allemands lorsque des avions alliés survolèrent la région. Mais les alliés ne s’intéressaient pas à ce qui se passait à Birkenau malgré les informations les plus récentes qu’ils avaient entre les mains, par exemple le Rapport sur Auschwitz de Rudolf Vrba et Fred Wetzler qui étaient parvenus à s’évader et avaient transmis leur témoignage aux alliés fin avril 1944.

Le Crématoire IV a été partiellement détruit au cours de la révolte mais plus de 450 hommes du Sonderkommando furent tués, dont Załmen Gradowski. Les SS comptèrent 3 morts dans leurs rangs.

Une centaine de survivants du Sonderkommando a pu se cacher dans le flot des détenus lors de l’évacuation d’Auschwitz.

Les documents retrouvés à Birkenau s’ajoutent aux témoignages conservés d’une vingtaine de survivants du Sonderkommando et à la dizaine de dépositions qu’ils ont faites lors des procès de l’après-guerre[17].

Jean-François Forges


[1] C’est à dire les premières chambres à gaz établies dans d’anciennes fermes voisines du camp de Birkenau.

[2] Le Crématoire II a dû être arrêté pour trois mois seulement deux mois après sa mise en service ; le Crématoire IV a fonctionné pendant deux mois et n’a jamais été totalement réparé et le Crématoire V ne fonctionnait sans doute qu’au ralenti pendant l’été 1944 quand les hommes du Sonderkommando devaient brûler les cadavres à l’extérieur du Crématoire.

[3] Voir, par exemple, le témoignage de Maurice Livartowski, sur le site du Mémorial de la Shoah, qui a travaillé pendant 17 jours à placer dans le monte-charge les corps des victimes de la chambre à gaz sans doute du Crématoire III à Birkenau « près d’un stade... un grand stade...où ils faisaient du sport, du football et tout ça ». http://www.memorialdelashoah.org/q_conference/popConference.do?id=37

[4] Est-il un homme, page 92.

[5] Shlomo Venezia, Sonderkommando, Albin Michel, 2007, 267 pages, page 103 : « Puis, finalement, l’Allemand apportant le gaz arrivait. Il prenait deux prisonniers du Sonderkommando avec lui pour soulever la trappe à l’extérieur, au-dessus de la chambre à gaz, puis il introduisait le Zyklon B par cette ouverture. Le couvercle était en ciment très lourd. L’Allemand n’aurait jamais pris la peine de le soulever lui-même, nous devions être deux pour cela. Parfois moi, parfois d’autres. Je ne l’avais jamais dit jusque-là, car ça me fait mal d’avoir à admettre que nous devions soulever et reposer le couvercle, une fois le gaz jeté. Mais c’est ainsi ». On voit encore aujourd’hui, posé sur la partie sud du toit effondré des ruines de la chambre à gaz du Crématoire II, à Birkenau, un couvercle en ciment avec une poignée en fer qui pèse une vingtaine de kilos. Cependant il semble plutôt s’agir d’un élément du système de drainage qui est placé là depuis au moins une vingtaine d’années, même s’il a changé de place au cours des travaux récents (2006-2007) de reprise du drainage pour la conservation du site archéologique du Crématoire II. Les archives du musée d’Auschwitz possèdent l’inventaire remis par la Direction des constructions (Bauleitung) d’Auschwitz aux autorités du camp lors de la livraison du Crématoire II terminé, le 31 mars 1943. Le document porte, manuscrit, l’indication de 4 Holzblenden, obturateurs en bois à côté de la mention de 4 dispositifs d’introduction en treillis de fil de fer (Drahtnetzeinschiebvorrichtung). Il s’agirait alors de couvercles en bois conformes à la reconstitution qu’on voit aujourd’hui sur le toit du Crématoire I au Stammlager. Le document est reproduit dans Jean-Claude Pressac, Auschwitz, Technique and Operation of the gas chambers, The Beate Klarsfeld Foundation, 1989, 564 pages, page 430. Il faut sans doute admettre l’existence de lourds couvercles en ciment mais aussi de couvercles plus légers en bois.

[6] Załmen Gradowski, Au cœur de l’enfer, édition dirigée et présentée par Philippe Mesnard et Carlo Saletti, éditions Kimé, 2001, 169 pages, page 102.

[7] Primo Levi, Les naufragés et les rescapés, quarante ans après Auschwitz, 1989, Gallimard, 201 pages, page 60, traduction d’André Maugé.

[8] Par exemple, Saul Friedländer, cite le médecin SS Johan Paul Kremer à propos d’une Sonderaktion visant à gazer des Juifs de Hollande : « Les hommes se bousculent pour participer à ces opérations, parce qu’ils ont droit à des rations spéciales, dont une bouteille de liqueur, 5 cigarettes, 100 grammes de mortadelle et du pain » (Saul Friedländer, Les années d’extermination, Seuil, 2007, 1032 pages, page 625). L’historien indique entre crochets, après le mot « hommes » : « les détenus du Sonderkommando ». Cependant, on peut se demander si les membres du Sonderkommando qui ne sont pas volontaires et ont chacun une tâche précise à accomplir, se bousculent vraiment (Kremer emploie en effet le verbe sich drangen) pour des gratifications de nourriture modestes de soldats. Kremer ne fait-il pas plutôt allusion aux hommes de la garnison SS ?

[9] Claude Lanzmann, Shoah, folio, 1985, 285 pages, pages 233-235.

[10] Il s’agissait de textes d’Haïm Herman, Zalmen Gradowski, Lejb Langfus, Zalmen Lewental et Marcel Nadsari, seul survivant (on trouvera la liste des membres connus du Sonderkommando d’Auschwitz avec une notice biographique sur le site remarquable de Véronique Chevillon www.sonderkommando.info).

[11] Des voix sous la cendre, Calmann-Lévy, 2005, 442 pages. Le livre a été élaboré par Georges Bensoussan, Philippe Mesnard, Carlo Saletti.

[12] Voir l’ouvrage dirigé par Wacław Długoborski et Franciszek Piper Auschwitz 1940-1945 (édition du musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 2000) volume III, Central issues in the history of the camp, page 162. Le livre n’est pas encore traduit en français. Il existe une autre porte ouvrant sur la façade nord du crématoire, celle de la salle des fours. Mais elle est située dans la partie est du bâtiment et l’angle sous lequel on voit, de cette porte, la zone des bûchers ne correspond pas à l’angle des photographies historiques. Si l’on n’a aucune photographie de cette façade du Crématoire V, on en a plusieurs de la façade sud du Crématoire IV qui devait lui être semblable où on voit cette porte, que l’on sait par ailleurs construite pour être « étanche au gaz ».

[13] Il faut souligner qu’il n’y a pas de plan du Crématoire V dans les archives restées à Auschwitz. Mais on y trouve les plans du Crématoire IV construit en miroir. Il semble d’ailleurs que les architectes de la Bauleitung et les contremaitres de la Huta, l’entreprise chargée du gros œuvre des crématoires, aient travaillé à partir des plans du Crématoire IV.

[14] On distingue cette porte entre les arbres du Birkenwald, sur une photo de la façade sud du Crématoire V, prise en mai ou juin 1943.

[15] Les photographies sont reproduites en particulier dans Mémoire des camps (sous la direction de Clément Chéroux), Marval, 2001, 246 pages, pages 88-89. C’est la photo retouchée des femmes qui est, par exemple, reproduite dans Yitzhak Arad, The Pictorial History of the Holocaust, éditions de Yad Vashem, 1990, 396 pages, page 290 ou dans Thomas Fontaine, Déportations et génocide, FNDIRP, Tallandier, 2009, 144 pages, page 40.

[16] Voir les témoignages de Rudolf Vrba et Filip Müller dans Claude Lanzmann, Shoah, pages 219 à 235.

[17] Ces documents forment la base de la recherche d’une historienne turque, Sila Cehreli, pour son DEA présenté à la Sorbonne en 2001 sur un sujet rare dans les travaux universitaires français de ce type : Témoignage du génocide, Reconstruire l’histoire du Sonderkommando d’Auschwitz. Cette étude, qui doit être mise à jour, n’a pas encore été publiée.