Primo Levi : Si c'est un homme
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Auschwitz III Monowitz Auschwitz - Birkenau - Monowitz Fossoli Les tatouages La sélection Sonderkommando
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Fiche historique : Sélection (Auschwitz)

Le complexe d’Auschwitz rassemblait un centre d’extermination et un camp de concentration formé lui-même d’un ensemble de camps et de Kommandos extérieurs. En relation avec cette situation, Auschwitz dépendait directement, à Berlin, de deux organismes SS :

- L’Office Central SS de Sécurité du Reich (SS-RSHA créé le 22 septembre 1939 par Heinrich Himmler), dirigé par Reinhard Heydrich, s’occupait de la répression, de la police et de l’assassinat des Juifs acheminés dans les centres d’extermination précisément par des transports du SS-RSHA. Mais le SS-RSHA se préoccupait aussi de la construction des bâtiments où se passait l’extermination des Juifs et intervenait par exemple pour accélérer l’obtention par les entreprises industrielles travaillant à la construction des Crématoires de matériaux contingentés du fait de la guerre. Himmler s’intéressait encore à l’établissement dans la Zone d’intérêt d’Auschwitz (Interessengebiet des KL Auschwitz) d’entreprises agricoles où travaillaient les Kommandos extérieurs comme à Raïsko, Budy ou Harmeze.

- L’Office central SS d’administration économique (SS-WVHA, créé le 1er février 1942) dirigé par Oswald Pohl dont le bureau D (Amt D) s’occupait des camps de concentration et de l’exploitation du travail des esclaves des SS pour les entreprises SS, les entreprises de l’État et les entreprises privées.

Il faut compter aussi avec le gouvernement du Reich et son Plan économique de 4 ans dirigé par Herman Göring, lui-même directement intéressé par le profit que pouvait tirer le consortium Herman Göring Werke des mines de charbon proches d’Auschwitz (Kohlengrube Brzeszcze-Jawischowitz).

Enfin les entreprises privées allemandes étaient attirées par les avantages que leur offrait Auschwitz. En particulier la société chimique I.G. Farbenindustrie  était intéressée par la concentration de voies ferrées en Haute-Silésie, par l’abondance de chaux, d’eau et de charbon pour fabriquer du caoutchouc synthétique (Buna) dans le complexe industriel créé par les Allemands à Dwory et par la main-d’œuvre, louée à des prix sans concurrence par les SS, détenue dans plusieurs sous-camps financés par l’entreprise, dont celui d’Auschwitz III-Monowitz qui est devenu autonome à la fin de 1943 et où était Primo Levi, le camp numéro 4 de la nomenclature de l’I.G. Farben, comme on le voit indiqué sur le monument chrétien commémoratif à Monowice aujourd’hui. Toutes ces raisons ont attiré aussi des usines de Krupp à Dwory, de Siemens à Bobrek ou de Weichsel-Union-Metallwerke à Auschwitz-même.

Il faut compter enfin sur les besoins des chantiers de la Bauleitung (Direction des constructions) d’Auschwitz : constructions des crématoires, des systèmes d’épuration des eaux, des baraques pour les détenus ainsi que les logements pour les travailleurs civils et la garnison SS, des routes etc. Sur ces chantiers se retrouvaient ordinairement un tiers de travailleurs civils spécialisés et deux tiers de détenus.

Toute cette activité économique avait besoin d’un grand nombre de travailleurs-esclaves qui devaient être sélectionnés à leur arrivée en fonction de leur force de travail mais aussi de leurs qualifications techniques d’artisans ou d’ingénieurs de tous les corps de métiers. Les SS cherchaient aussi du personnel médical pour les hôpitaux des détenus ou des musiciens pour les orchestres.

Les tensions sont vite apparues entre le SS-RSHA qui voulait tuer le maximum de Juifs sans distinction et le SS-WVHA qui voulaient exploiter leur force de travail avant qu’ils ne meurent. A partir du moment où il est devenu évident que la guerre allait être plus longue que les Allemands ne l’imaginaient (c'est-à-dire dès l’automne 1941-1942 avec les échecs devant Moscou) et que le Reich ne pourrait pas puiser dans la masse infinie des Slaves pour y trouver la main d’œuvre, la nécessité s’est imposée de faire travailler les Juifs avant de les tuer même si les tenants de l’assassinat immédiat ne furent pas convaincus pour autant et restèrent influents en particulier derrière le front de l’est où opéraient les Einsatzgruppen. Cependant, tous s’accordaient pour tuer les Juifs qui ne pouvaient pas travailler, ceux qui étaient trop jeunes ou trop vieux, les malades ou les handicapés.

Mais seuls les Juifs, hormis en général ceux venus de Theresienstadt pendant la durée de d’existence du « Camp des familles » à Birkenau (6 septembre 1943 – 11/12 juillet 1944, date de l’assassinat des derniers survivants), furent victimes des sélections à l’arrivée des convois. Il n’y eut pas de sélection pour les prisonniers de guerre, les résistants ou pour les familles tziganes, même si ces dernières ont été finalement assassinées au début du mois d’août 1944. De la même manière, les familles polonaises arrivées entre novembre 1942 et mars 1943 de la région de Zamość ne furent pas soumises à une sélection[1] mais tous les enfants moururent avant l’été de 1943 soit assassinés par des piqures de phénol soit victimes du typhus.

Les premières sélections à l’arrivée à Auschwitz ont sans doute eu lieu sur la Judenrampe dès le printemps de 1942, au moment de la mise en service du Bunker I. Elles étaient réalisées par Hoess et son équipe composée de médecins mais surtout de SS de la Kommandantur et de la Politische Abteilung qui n’avaient aucune qualification pour juger de l’état de santé des détenus. Le 4 juillet 1942, dans un convoi venu de Slovaquie, 264 hommes et 108 femmes furent sélectionnés pour le travail. Le reste du convoi fut envoyé dans les chambres à gaz du Bunker I. A partir de cette date, les sélections sont devenues systématiques. Il faut cependant attendre le printemps 1943 – la date est imprécise – pour que le médecin de la garnison SS d’Auschwitz, Eduard Wirths, décide que les médecins SS eux-mêmes devront obligatoirement faire les sélections. Ainsi, à tour de rôle, tous les médecins SS y compris les médecins-biologistes de l’Institut d’hygiène de Raïsko, ont dû sélectionner les déportés, pour la survie dans les kommandos de travail forcé ou pour la mort dans les chambres à gaz, sur la Judenrampe puis, à partir de la mi-mai 1944, sur la Bahnrampe, à l’intérieur du camp de Birkenau[2].

La sélection permettait aussi aux médecins de repérer les personnes pouvant être utilisées comme matériel humain pour les expériences médicales. Ainsi à partir de la fin du mois de mai 1943, Josef Mengele, médecin-chef du camp des Tziganes, a-t-il participé assidûment aux sélections pour rechercher les jumeaux, les nains, les géants et toute personne au « physique inhabituel » utile à ses expériences.

La difficulté de séparer les mères de leurs enfants, qui était déjà apparue à Drancy, va conduire les SS, pour éviter une agitation difficile à contrôler sur les rampes d’arrivée, à envoyer à la mort les femmes même capables de travailler, arrivant à Auschwitz avec des enfants.

Il n’est pas possible de dégager une règle pour les sélections. Dans Shoah de Claude Lanzmann, Rudolf Vrba explique clairement que si les conditions de vie allaient en s’améliorant dans le camp de concentration, c'est-à-dire que si les détenus mouraient en moins grand nombre, les SS avaient besoin de moins de nouveaux esclaves à sélectionner à l’arrivée et davantage de déportés juifs étaient par conséquent envoyés directement dans les chambres à gaz[3].

Il faut compter aussi sur des circonstances particulières. Ainsi le 6 juin 1942, la totalité d’un convoi venant du camp de transit de Vugh (Pays-Bas) fut enregistrée dans le camp y compris les enfants dont l’un d’eux n’avait que 2 ans. Ce convoi comportait des techniciens hautement qualifiés de l’entreprise Philips, très précieux pour les Allemands qui ont sans doute pensé que le travail serait plus efficace si ces spécialistes n’étaient pas préoccupés du sort de leurs femmes et de leurs enfants[4]. De septembre 1943 à mai 1944 des convois entiers, hommes, femmes, enfants ont été internés sans sélection dans le « Camp des familles de Theresienstadt » à Birkenau (secteur BIIb). Le plus jeune de ces enfants avait moins de deux mois. Mais le 7 octobre 1943, un convoi de 1 313 juifs polonais du ghetto de Białystok venant de Theresienstadt, dont 1 260 enfants et adolescents, a été directement gazé à son arrivée[5].

De manière générale, on compte que seulement 20% des personnes arrivées à Auschwitz ont été sélectionnées pour le travail. Les autres sont mortes assassinées dans les heures suivant leur arrivée.

Après l’intégration dans le camp, de nouvelles sélections par les SS pour des travaux spécialisés pouvaient arriver à tout moment : corvées spéciales épuisantes, kommandos extérieurs, Sonderkommando. Mais on pouvait aussi être affecté à un travail moins pénible dans une entreprise civile. Dans Une vie, Simone Veil a raconté comment elle avait été sélectionnée pour travailler à l’usine de Siemens de Bobrek. Jacques Stroumsa, dans Tu choisiras la vie, explique comment il avait été appelé par l’Oberingenieur Bosch pour travailler à l’Union-Werke. Sous le titre « Examen de chimie », Primo Levi a raconté dans Si c’est un homme, comment il avait été choisi trois mois après son arrivée par le Doktor Pannwitz pour travailler dans un Laboratoire de l’I.G. Farben.

Enfin, des sélections pour la mort, particulièrement redoutées par les détenus (quelles que soient les causes de leur internement) eurent lieu régulièrement à l’intérieur du camp lui-même pour envoyer dans les chambres à gaz les prisonniers affaiblis devenus incapables de travailler. Les SS ont procédé à la première sélection de ce type le 4 mai 1942 dans le camp de Birkenau.

Jean-François Forges


[1]. Les Juifs de Zamość ont été tués dans les chambres à gaz de Bełżec et de Sobibór où, comme à Chełmno et les autres camps de l’Aktion Reinhard, il n’y avait aucune sélection si ce n’est lorsque les SS avaient besoin de renouveler les hommes des Kommandos de Juifs du travail (Arbeitsjuden).

[2]. On voit ainsi un médecin portant sur l’avant-bras gauche de son uniforme l’insigne en losange noir des médecins SS sur lequel figure un caducée, sur la rampe de Birkenau, dans les photographies de l’Album d’Auschwitz, éditions Al Dante, 2005; 150 pages (photo n° 30. Voir aussi l’édition italienne : Israel Gutman, Bella Gutterman, Marcello Pezzetti, Einaudi, 2008, 255 pages, page 148).

[3]. Claude Lanzmann, Shoah, folio Gallimard, 1985, 285 pages, page 215.

[4]. Wacław Długoborski et Franciszek Piper Auschwitz 1940-1945, édition du musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 2000, volume II, chapitre VIII par Helena Kubica, page 223.

[5]. Danuta Czech, Auschwitz Chronicle 1939-1945, Owl Book, 1997, 855 pages, page 501. Le livre n’a pas été traduit en français. Ces enfants, dont les parents avaient été tués lors de la révolte du ghetto, avaient été déportés dans un premier temps à Theresienstadt le 24 août 1943.