Primo Levi : Si c'est un homme
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Fiche historique : Auschwitz III Monowitz et l’usine de l’IG Farben

Dès novembre 1940 eurent lieu des négociations au niveau gouvernemental (Hermann Goering, chef du Plan économique de quatre ans) avec la société I.G. Farbenindustrie pour l’implantation en Silésie d’une usine de Buna (caoutchouc synthétique) dont la fabrication nécessite de la chaux, de l’eau et surtout du charbon. Avec ces matières premières, la région d’Auschwitz possédait aussi un bon réseau de voies de transport vers Berlin, Varsovie, Vienne ou Lemberg.

L’Interessengemeinschaft (groupement d’intérêt économique) Farbenindustrie, I.G. Farben, a été fondée en 1925, issu de groupes industriels chimiques déjà très puissants, BASF, Bayer et Agfa qui fabriquaient de l’essence et du caoutchouc synthétiques, des plastiques, des médicaments, des pellicules photographiques. La Degesh (Deutsche Gesellschaft für Schädlingsbekämptung (Société allemande pour la lutte contre les nuisibles) qui fabriquait un insecticide à base d’acide cyanhydrique, le Zyklon B, était une filiale d’IG Farben[1].

Le nom de Buna désigne le caoutchouc synthétique [Butadiène-Natrium (sodium)]. Les Allemands, qui ne disposaient pas des hévéas des colonies britanniques ou françaises d’Asie, avaient commencé à produire du caoutchouc synthétique dès le temps de la Première guerre mondiale. Aux États-Unis, Firestone avait également lancé des études sur cette question. L’I.G. Farben, en partie en raison des bombardements américains n’est jamais parvenu à fabriquer à Auschwitz du caoutchouc synthétique. Les agronomes du Kommando extérieur de femmes de Raïsko, créé en juin 1943 et où travaillèrent les résistantes du groupe de Charlotte Delbo, n’eurent pas davantage de succès dans leur création d’une station expérimentale de production de plantes, en particulier d’une sorte de pissenlit, le « kok-saghyz » dont les racines contiennent un genre de latex permettant de fabriquer du caoutchouc.

Le 1er mars 1941, lors de sa brève première inspection d’Auschwitz, le SS-Reichsführer Heinrich Himmler annonça son projet de fournir 10 000 détenus à l’I.G.Farben pour la construction d’une zone industrielle sur l’emplacement du village de Dwory, à environ 7 kilomètres à l’est-nord-est du KL Auschwitz, pour produire du carburant et du caoutchouc synthétique. Le 27 mars 1941 se tint une réunion des responsables SS du KL Auschwitz avec les responsables d’I.G. Farbenindustrie : la journée de travail des prisonniers fut fixée à 10-11 heures en été et 9 heures en hiver. La location à la SS des prisonniers par les firmes industrielles privées qui allaient s’implanter à Dwory (I.G. Farben, Krupp, Siemens etc.) fut fixée à 4 marks par jour pour les ouvriers qualifiés et 1,5 marks par jour pour les ouvriers non qualifiés[2].

La construction du complexe industriel de l’IG Farben a donc commencé à la mi-avril 1941 sur le territoire du village de Dwory. L’I.G. Farben finança la construction de 9 camps destinés à recevoir les détenus, les ouvriers et employés civils, les requis du STO ou les prisonniers de guerre qui allaient travailler dans les usines. Les premières baraques conçues pour accueillir des détenus furent construites dans le voisinage du village polonais de Monowice et le camp IV appelé par les Allemands Monowitz, initialement prévu pour les travailleurs civils, fut réservé aux détenus. Au début de mai, le site rassemblait déjà 700 détenus qui devaient parcourir à pied deux fois par jour les 7 kilomètres qui séparent Monowitz du camp principal. Le 8 mai, une vingtaine de condamnés de droit-commun allemands arrivèrent de Mauthausen. Ils furent, selon l’usage des SS, les premiers Kapos. A partir du 29 juillet, les prisonniers furent transportés par train du Stammlager à Monowitz. Les constructions furent ralenties pendant l’hiver 41-42, les SS s’occupant alors essentiellement de la construction de Birkenau mais le travail de construction reprit au printemps 1942 pour être à nouveau suspendu pendant l’été en raison d’une épidémie de fièvre typhoïde au camp principal. Fin octobre 1942 le camp IV dans lequel l’IG Farben avait investi 700 millions de Reichsmarks, rassemblait 2 100 détenus principalement des juifs (seulement des hommes). De novembre 1943 à janvier 1945, Monowitz a été dirigé par le SS-Hauptsturmführer Heinrich Schwarz.

Buna-Monowitz
Buna-Monowitz

Le camp de Monowitz mettait les détenus à seulement 300 mètres des usines. Les baraques étaient plus petites que celles de Birkenau (17,5 x 8 mètres contre 40,76 x 9,56m) mais le camp était plus grand que le Stammlager : 13,3 hectares (270 x 490 mètres[3]). En décembre 1942, il y avait 3 700 prisonniers mais ils étaient moins de 2 000 en février 1943. Le 4 janvier 1943 en effet, une sélection envoya dans les chambres à gaz de Birkenau 800 détenus.

L’I.G. Farben intervient pour que le nombre des prisonniers ne soit pas réduit. Le 10 février, elle obtint, par un accord avec les SS d’Auschwitz, que le nombre de détenus montât jusqu’à 4 000 ou 4 500. La direction de l’I.G. Farben trouva cependant ce nombre insuffisant pour ses projets et s’adressa alors directement à ceux qui, de Berlin, dirigeaient Auschwitz : le SS-WVHA dirigé par Oswald Pohl[4], pour obtenir davantage de détenus. Fin février il y avait 5 000 détenus à Monowitz. En décembre 1943 7 200 et au milieu de 1944 10 000. En juillet 1944 le nombre de détenus atteint son maximum, près de 12 000.

Les Juifs furent les plus nombreux lors de la construction du complexe de l’I.G. Farben. Puis les Polonais dominèrent mais à l’automne 1943, 60 à 75% des détenus étaient Juifs[5] et même 80 à 90 % pendant l’hiver 43-44, quand arriva Primo Levi (le 26 février 1944), et au printemps 1944. Au début d’août 1944, sans doute en liaison avec l’insurrection de Varsovie, 1 200 Polonais furent transférés à Birkenau puis à Buchenwald. Ainsi le 13 janvier 1945, il y avait à Monowitz sur 9 792 prisonniers 9 054 Juifs, 386 allemands, 307 polonais.

Le 18 janvier, par colonnes de 1 000 prisonniers, commença l’évacuation du camp. 800 prisonniers restèrent à l’hôpital du camp dont Primo Levi. Les soldats de la 100° division d’infanterie de la 60° armée de l’Armée Rouge, du Premier Front d’Ukraine, arrivèrent à Monowitz. Les malades furent transportés dans l’hôpital de la Croix-Rouge du camp principal.

Monowitz contenait aussi un camp de rééducation par le travail pour des prisonniers qui refusaient de travailler ou avaient commis des délits. Ces prisonniers portaient un grand E sur leurs habits. Les premiers de ces prisonniers, envoyés par des tribunaux de la Gestapo, arrivèrent en novembre 1942. Le nom officiel était trompeur : Arbeitserziehungslager Birkenau, camp de rééducation par le travail de Birkenau, peut-être pour ne pas faire figurer le nom déjà trop connu d’Auschwitz dans cette appellation. Environ 9 200 prisonniers y furent internés.

Jean-François Forges

Bibliographie :

Il y a peu d’ouvrages historiques sur le camp de Monowitz et, hélas, ils ne sont pas traduits en français.
On trouve un bref chapitre dans : Waclaw Dlugoborski et Franciszek Piper, Auschwitz 1940-1945, volume I, The establishment and organization of the camp, musée d’Auschwitz, 2000
Voir aussi : Piotr Setkiewicz, The history of Auschwitz IG Farben werk camps 1941-1945, musée d’Auschwitz, 2008.


[1] Des dirigeants ont été condamnés à des peine de prison à Nuremberg en 1947 et la société fut dissoute en 1950 en une douzaines de sociétés (BASF, Bayer, Hoechst , Agfa…) L’ancien siège social de l’IG Farben à Francfort est aujourd’hui l’université Johann Wolfgang Goethe.

[2] Ces sommes cependant varient beaucoup dans le temps et selon les entreprises. A partir de mai 1943 les tarifs se sont élevés jusqu’à 6 marks par jour pour un ouvrier qualifié, 4 marks pour un ouvrier non qualifié, soit 50% environ de moins que les salaires des ouvriers libres (1 mark de l’époque valait une somme de l’ordre de 2 euros d’aujourd’hui). L’entretien d’un détenu serait revenu à la SS de 0,30 à 0,70 mark par jour (Voir Léon Poliakov, Auschwitz, Collection archives, Gallimard-Julliard, 1964, 222 pages, page 71). Dans les entreprises dépendant directement de la SS celle-ci versait au Trésor public allemand la somme de 0,30 mark par journée de travail d’un déporté. Poliakov publie, à la fin de son livre, un rapport froidement scientifique, sur le travail, la faim et l’espérance de vie, daté du 3 novembre 1947 et rédigé par le médecin SS-Untersturmführer Hans Münch, un des médecins de l’institut d’hygiène de Raïsko. En fait, l’entretien des prisonniers ne coûtait pas cher à la SS. La ration normale moyenne des esclaves d’Auschwitz se montait à 1 500 calories par jour avec une espérance de vie moyenne de 6 mois suivant le degré de dureté du travail, des relations, de la chance, de la débrouillardise du prisonnier. Sur l’état de santé des travailleurs de Monowitz, on lira surtout Primo Levi, Rapport sur Auschwitz (précisément : Rapport sur l’organisation hygiénico-sanitaire du camp de concentration de Monowitz pour Juifs), Kimé, 2005, 111 pages.

[3] Le Stammlager mesure 288 mètres de longueur sur 206 mètres de largeur.

[4] Oswald Pohl a visité Auschwitz les 23 septembre 1942, 17 août 1943 et 16 juin 1944.

[5] Les sources indiquent rarement leur nationalité.